I.Permutations et mobilité

Si l'on commence par l’examen de ce qui, au sein des arts plastiques, peut apparaître comme la manipulation la plus spécifique, on ira voir du côté de celle qui porte sur des éléments formels pour les rendre mobiles. Manipulation qui, à priori, parait difficilement pensable en littérature, même si les lettristes, en coupant les lettres, ont rendu cet élément aussi manipulable qu’une forme géométrique. On sait que c'est au Bauhaus que naissent et se multiplient, sous la direction de Moholy-Nagy et d'Albers, des études sur les éléments simples et, par la suite, des systèmes que l'on peut classer parmi les premières œuvres dotées de mouvement. Certains, comme Duchamp (avec sa roue de bicyclette), Gabo, Tatline ou Léger s'intéressent aussi très tôt au mouvement des formes plastiques. Depuis, un certain nombre d'artistes pratiquant l'abstraction géométrique, en Europe et aux USA (dans le Hard Edge), ont montré leur capacité d'invention en créant des œuvres où l'on trouve une répétition sérielle d'éléments plastiques et en imaginant des systèmes d'assemblages de formes en mouvement : Agam dès 1953, puis en 1954 à la Galerie Louise René pour l'exposition "le mouvement" ; Pol Bury et ses créations dans les années cinquante ; Tinguely avec ses reliefs et sa machine à peindre en 1959 ; Calder avec ses mobiles ; Jaquet et ses rouleaux à la Galerie Breteau en 1962 ; le mouvement cinétique et le groupe GRAV dans les années 60 ; Moles et son manifeste de l'art permutationnel en 1962 ; les productions cinétiques dans les grandes expositions entre 60 et 70 : au Stedelijk Muséum d'Amsterdam à Stockholm en 1961 et à Zagreb la même année, puis à Paris et à Venise, avec les œuvres de Jiri Kolar, Le Parc, Ghérasim Luca, Soto, Morellet, etc.. Enfin, la plupart des artistes travaillant sur ordinateur vont s’intéreser aux problèmes de combinatoire, de mouvement et faire appel aux mathématiques pour les résoudre. De fait, si les productions cinétiques du passé proposaient trop souvent des œuvres qui bougeaient sans se transformer vraiment, les tentatives actuelles mettent trop souvent un écran entre le spectateur et l'œuvre.

Il reste donc beaucoup à faire : se risquer, par exemple, à revenir aux éléments simples et spécifiques, aux structures fondamentales, aux procédés élémentaires, et aussi explorer l'interface entre sculpture et peinture. Se pose alors le problème des règles. Car, alors que les Oulipiens, dans leurs manipulations, restent fidèles aux grandes règles de la rhétorique et même les durcissent à plaisir, force est de constater que, chez les plasticiens, la tendance est plutôt à la dérégulation (au point qu’on en arrive parfois à se demander s’il restera un seul principe d’organisation acceptable ! ) Cette dérégulation, ce recours à l'aléatoire systématisé imposent d’avoir une réflexion sur ce que l’on pourrait appeler ‘’les lois de recomposition optique", celles qui sont utilisées, de façon consciente ou inconsciente, par le spectateur. Car, si le mouvement étonne d’abord, il peut rapidement étourdir ou lasser ; il importe alors de donner au spectateur (comme au lecteur dans certains textes combinatoires), la possibilité d’intervenir pour interrompre le processus, pour lui éviter l’obligation de subir passivement les formes et les couleurs imposées par l'artiste. D’où la nécessité de trouver des règles susceptibles de s’appliquer même à l’intérieur des systèmes les plus soumis à l’apparente anarchie de l’aléatoire. Règles que l’on discernera mieux en examinant successivement divers types de manipulations susceptibles de produire, dans une œuvre, du mouvement.

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