Une Approche théorique

"La majeure partie de la sagesse humaine est contenue dans la combinatoire" Quirinus Kuhlmann

En littérature comme dans les arts plastiques, la production d’œuvres par manipulation d'éléments simples est une pratique ancienne. Il suffit d’évoquer, pour la littérature, la longue lignée d’écrivains qui, de Lucrèce à Perec en passant par Borgès, conçoivent la littérature comme le produit d’une combinaison d’objets linguistiques élémentaires : dans l’ordre ascendant, les lettres (ou les signes typographiques), les mots, les phrases, etc.

Rappelons les propos, depuis longtemps fameux, du maître de l’épicurisme latin sur la question :  Réfléchis ; dans nos vers même, tu vois nombre de lettres communes à nombre de mots, et cependant ces vers, ces mots, est-ce qu’ils ne sont pas différents par le sens et par le son ? Tel est le pouvoir des lettres quand seulement l’ordre en est changé1.

Et rappelons les lointains - mais très reconnaissables - échos que ces vers de Lucrèce ont trouvés chez Georges Perec. D’abord, indirectement, sous la plume du héros d’Un homme qui dort : Tu peux encore t’étonner que la combinaison, selon des règles finalement très simples, d’une trentaine de signes typographiques soit capable de créer, chaque jour, ces milliers de messages2. Et puis, quelques années plus tard, dans une déclaration à un journaliste à propos de ce chef d’œuvre (au sens médiéval du mot) oulipien qu’est La vie mode d’emploi : « (…) un pavé avec quelques milliers de lignes composées de lettres », (…) « des mots pris dans le dictionnaire qui ont été rassemblés d’une autre façon »3.

Toute œuvre, dans cette perspective, n’est donc qu’un arrangement singulier, une mise en ordre particulière, d’une quantité déterminée de lettres ou de mots4.

Si l’on passe du texte à l’image, il est clair que, dès l’antiquité, les frises ainsi que toutes les figures décoratives fondées sur la répétition et la combinaison d’éléments géométriques simples ont été précédées d’une réflexion sur les conditions d’un assemblage efficace de droites et de courbes : faut-il rappeler combien le nombre, les proportions, ont obsédé ceux qui se sont intéressés à la représentation et à l'image ?

La reprise d’une même forme au sein d'un même décor montre que les artisans avaient compris la valeur esthétique de la répétition. On sait quelle influence ont eue précisément les écoles décoratives sur les peintres au début du Xxème siècle, époque où l'on voit fusionner certaines de ces écoles avec les écoles des Beaux-Arts et où le Bauhaus s'organise autour du projet d'intégration des différentes techniques permettant le travail du bois, des métaux, du verre, etc.

Il est donc intéressant de dresser un état des diverses manipulations qui, dans ces deux domaines du texte et de l’image, ont été exploitées et de celles qui resteraient encore à explorer, en examinant leurs conditions de possibilité. Sans vouloir bien entendu remonter à des problèmes comme celui des sources iconiques de l’écriture5, on cherchera surtout à mettre au jour l’existence de pratiques croisées ou parallèles, ainsi que le jeu des transferts, des influences réciproques qui marquent la démarche d’un certain nombre de littérateurs et de plasticiens, au nombre desquels les auteurs de cet article..

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