Création de nouveaux styles

On se demande parfois quelle est la démarche de l’artiste et comment il en vient à faire ce qu’il  fait. Le spectateur reste souvent perplexe devant les productions contemporaines, qui sont souvent hermétiques ou d’une violence extrême. Il ne voit pas bien ce que l’artiste cherche à faire partager, quelle émotion qui ne soit pas outrancière. La peinture classique semble indépassable en matière de profondeur et de subtilité, en sentiments forts et graves, en prouesses techniques. Ne nous reste-t-il plus que le rire ? Et si cela était ? D’aucuns, et non des moindres, ont bien remarqué que le rire dépassait la tragédie en profondeur. Le rire est le plus souvent soulagement : le ridicule des autres, la bêtise démasquée, l’excès absurde ou la démarche impossible. Car la démarche impossible, et reconnue comme telle, permet le soulagement d’un échec assumé.

C’est bien de cette dernière qu’il s’agit ici. Celle qui consiste à affronter l’innombrable : revoir les éléments qui m’ont paru utiles en général pour la création plastique, et pour mes recherches en particulier, en faire une liste, tenter de les classer, puis montrer comment je me suis servie de recherches un peu systématiques pour trouver, sinon des formules nouvelles, du moins des expériences et des productions amusantes.

1. Des Beaux-arts aux premiers mariages de styles.

Les études qui menaient autrefois aux concours de l’Ecole des Beaux-Arts donnaient un certain bagage en matière de dessin, moins en matière de peinture (je me souviens avoir réalisé une peinture plus que médiocre), et une petite connaissance de l’art en général. Ce que j’ai retenu de mes études aux Beaux Arts, c’est surtout une technique (la lithographie) qui m’avait fascinée, des rudiments de gravure, une meilleure connaissance de l’histoire de l’art, qui cependant ne m’élevait guère au-dessus du niveau d’une personne de bonne culture. Restaient des trous béants en matière de peinture contemporaine.

Ce qui a complété ma formation, ce furent mes recherches personnelles, et surtout le travail d’enseignante que j’entrepris dix ans plus tard, au moment où je retournais à l’université pour un cursus complet en psychologie. Car, parallèlement à ces études, j’animais, à Paris VI, l’atelier de peinture. Il s’agissait alors de présenter l’art moderne, ses groupes, ses changements, ses ouvertures, ses techniques. Un tour d’horizon qui s’élargissait d’année et année et débordait sur l’art contemporain.

Personnellement, je m’étais fixée, en peinture, sur un mode opératoire qui me permettait d’avoir des textures dans les tons pierre et des matières qui précisément ressemblaient à la pierre. Les thèmes étaient multiples, mais tout de même assez centrés sur les corps humains, corps qui demeuraient englués dans un archaïsme censé leur donner de la force. Mes connaissances en psychologie m’avaient donné des idées sur l’ambivalence que j’essayais de mettre en évidence dans mes peinture, surtout lorsqu’il s’agissait de maternités, mais aussi de personnages aussi monstrueux que sympathiques.

Le retour à l’archaïque m’a toujours paru la voie du renouveau. Et cette obligation de nouveauté a pesé lourd dans mon parcours pictural, jamais rien n’était assez nouveau. C’est pourquoi, après des années de mauvaise conscience, je me suis réjouie de m’adonner à cette recherche sans plus d’arrière-pensée et de me perdre toujours dans de nouvelles voies, sans me dire qu’il fallait s’arrêter et exploiter plus sérieusement une pente ou une autre. Le changement était devenu un état. Et cet état a produit des recherches de plus en plus systématiques avec les *mariages de styles* et finalement un désir de classement pour de nouveaux jeux, avec de nouveaux mariages.

*1. **L’homme et le style*

Le mariage de styles suppose bien évidemment que l’on soit au clair sur ce qui compose un style. Or le style ne peut pas être défini de façon concise. La formule de Buffon : « le style c’est l’homme même », comme toute définition courte, est problématique. Elle annonce que le style vient de l’homme, donc de son corps, de sa psychologie, de sa spiritualité, et sans doute de bien d’autres aspects. Elle entraîne immédiatement une question : existe-t-il des styles sans homme et que seraient ces styles ? Des modes de production particuliers, créés et gérés par des machines ? Ou par un homme qui agirait comme une machine ? Ou par un homme qui utiliserait le style d’autres artistes ? Est-ce que le produit de ces mélanges serait encore un style ? Si ce n’est pas un style, comment pourrait-on le nommer ? Pseudo-styles ? Matrices, modes opératoires ou tout simplement Formules. Ici, on a choisi le terme de métisses car il a un côté génétique qui semble plus vivant. Mais il s’agit bien de trouver ce qui, en dehors de l’homme, peut contribuer à faciliter la découverte d’un style ou d’un modèle, ou d’une contrainte, voilà ce qui m’intéresse.

Les exemples donnés par les illustrations de ce texte semblent homogènes et relever d’une même démarche, celle qui consiste à marier deux types d’œuvres. Ils sont en fait le fruit d’une recherche sur certains modèles connus, puis sur les éléments plastiques, et enfin sur l’addition des modèles. Ils ont été choisis pour montrer la fécondité de ces mélanges. En fait il s’agit ici de proposer le plus de mélanges possibles. Mais ces mélanges regroupant deux éléments particulièrement complexes, à savoir deux œuvres, supposeraient une analyse détaillée des éléments qui constituent chaque œuvre ; je me suis contentée de noter les éléments marquants ou originaux. Quant à l’inventaire des éléments mis en jeu dans l’art, il s’est limité aux éléments que je connais et que j’ai employés pour la confection des « métisses  » ou pour d’éventuelles autres créations.

On constate souvent que chaque artiste, avant de trouver son propre style, se forme au contact de ses maîtres, de ceux qui l’ont précédé, ou de ses contemporains. Puis il essaye, tâtonne, associe divers éléments, parfois en prenant, à droite et à gauche ce qu’il aime chez les autres artistes, ce qui lui semble proche, ce qui lui convient en somme pour s’exprimer pleinement et durablement. Mécontent, il va jusqu’à utiliser des domaines étrangers aux arts.

Et même lorsqu’il a stabilisé son style, lorsqu’il a pu créer un ensemble cohérent, émerge parfois (surtout chez nos contemporains) une œuvre qui semble d’un style différent. Cette œuvre qui reste une enfant à part pourrait s’appeler « orpheline  », car son auteur ne la juge pas assez intéressante pour poursuivre et tenter une série, ou infléchir son style dans le sens de cette nouveauté. Or cette œuvre orpheline semble bien trahir son plaisir pour de nouvelles recherches. On sait que Picasso, en passant d’un style à un autre, a su transgresser la règle qui veut qu’un artiste demeure fidèle à son style. A la même époque, d’autres comme Derain,s’y étaient essayés.

Il est d’ailleurs bien évident que l’homme change et que si le style c’est l’homme, le style qui ne change pas est un style artificiel ou rétrograde. Un style maintenu souvent en raison de la demande du public, au détriment de l’artiste qui finit par mourir d’ennui (Rothko, Pollock).

On constate aussi que non seulement les peintres changent de style, mais que chacun se doit désormais d’inventer sa propre technique, son vocabulaire formel, ses gestes techniques et même ses instruments, en tenant compte naturellement de ce qui a déjà été fait. Celui qui aurait désiré peindre comme Rembrandt doit trouver des thèmes, une technique, un traitement de la réalité différents. Cette partie de son travail suppose qu’il mette de côté pour un moment sa propre personnalité pour faire des recherches variées afin de trouver, dans les éléments qu’il va découvrir, ce qui lui convient le mieux. Cette recherche est ce qui nous intéresse. Nous la nommons recherche de style, étant entendu que le mystère du style, à savoir sa part humaine, le pourquoi des choix et probablement un usage spécifique des éléments choisis par l’artiste, restera toujours mystérieux.

Et si j’ai commencé par relier le style à l’homme, c’était précisément pour mettre de côté l’élément le plus complexe et le moins utilisable.

2. La recherche de nouveauté

Pour les artistes modernes et contemporains, la recherche de la nouveauté a été un des principes directeurs, peut-être précisément parce que le champ des possibles s’était ouvert avec certaines transgressions. Une fois l’idée de nouveauté mise en route, elle allait entraîner des recherches et des productions extrêmement variées. Et c’est en modifiant souvent peu de chose, un élément ou un autre, que ces nouveautés sont réalisées. En faisant une liste non exhaustive des procédures qui ont apporté de la nouveauté, on se rend compte que, poussés par la nécessité de créer du nouveau, les artistes ont entrepris des recherches probablement systématiques.

On peut facilement noter que les nouveautés sont le résultat de facteurs divers :

- la nouveauté vient de la modification d’un élément simple appartenant au domaine de la peinture (emploi particulier de certaines couleurs par les Fauves)

- la nouveauté vient d’une variation inédite d’une technique connue (tous les peintres classiques ont en fait leur façon particulière d’utiliser la peinture à l’huile, et la touche des Impressionnistes semble révolutionnaire)

- la nouveauté vient d’une technique nouvelle et des nouvelles façons de l’utiliser (l’acrylique et le dripping de Pollock)

- la nouveauté vient d’une modification d’un ou de plusieurs éléments plus complexes relevant du domaine de la peinture (exemple : les différents usages de la perspective et finalement la déformation de la perspective chez Vieira da Silva ou chez Bacon)

- la nouveauté vient de la découverte de nouveaux éléments simples ou complexes relevant du domaine de la peinture (exemple l’usage de nouvelles couleurs, de nouveaux diluants, de nouvelles formes, de nouveaux thèmes, de nouvelles règles, etc .);

- la nouveauté vient de la réduction du nombre des éléments jusque là utilisés (la couleur réduite au monochrome)

- la nouveauté vient de la simplification d’un élément (simplification des formes chez Matisse et pendant tout le début du XXème siècle)

- la nouveauté vient du mélange d’éléments complexes (métisses, mélanges de styles)

- la nouveauté vient d’une conception nouvelle de l’art (exemple : l’art n’est pas fait pour donner une image idéale de la réalité, il n’est pas fait pour donner une image réaliste non plus, mais une vision personnelle, ou abstraite, ou surréaliste, etc.);

- la nouveauté vient de l’usage nouveau d’éléments transversaux qui servent soit à tous les domaines, soit au domaine des arts (exemple : le rapport de la partie au tout, ou des notions de cohérence, d’harmonie, de rythme, etc. chez Kandinsky )

- la nouveauté vient de l’apport d’éléments extérieurs mais proches de la peinture, donc du domaine artistique (utilisation de la photo ou d’une image imprimée, éléments en volume, etc)

- la nouveauté vient du morcellement ou du traitement mécanique plus ou moins géométrique de peintures, de photos, (Guérasim Lucas, Oupeinpo)

- la nouveauté vient de l’apport d’éléments totalement extérieurs à l’art ou de la modification des éléments extérieurs déjà utilisés (la lettre, ou la quatrième dimension, donc la notion de temps qui sera à l’origine du Cubisme)

- la nouveauté vient de l’association d’éléments du même niveau complexe qu’on n’avait encore jamais mis ensembles (peinture sur photo d’A. Wharol)

- la nouveauté vient d’éléments nouveaux découverts à l’extérieur (techniques numériques, qui construisent et déforment une image, etc)

Ces premiers constats ont permis de montrer qu’à tous les niveaux, du plus simple au plus complexe, on peut obtenir de la nouveauté, soit par l’addition d’éléments nouveaux propres aux arts plastiques (certaines images) , soit par le mélange d’éléments conçus pour être séparés, soit par des manipulations nouvelles de ces éléments, soit par la réduction des éléments connus, soit par la simplification d’éléments connus, soit par l’intégration d’éléments extérieurs et leur manipulation. Soit par des associations de ces facteurs de nouveauté.

Cette énumération permet de déterminer trois catégories d’éléments, ceux qui sont internes, ceux qui sont « transversaux  » (ceux qui sont opérationnels dans plusieurs disciplines), et ceux qui sont étrangers à la peinture. Mais ce qui est le plus frappant c’est qu’en définitive le plus petit élément (la touche par exemple ou la découverte d’un nouveau solvant) a pu servir pour créer des nouveautés remarquables.

3. Le modèle de Le Lionnais

De là l’idée qu’il fallait se livrer à plusieurs recherches distinctes :

- établir un répertoire, mais aussi un classement, et donc une hiérarchie, parmi les éléments, hiérarchie par ordre de complexité ;

- concevoir une liste des associations possibles entre ces éléments ;

- constituer une liste des manipulations possibles de ces éléments qui peuvent être grossis, déformés, etc. de différentes façons.

Trois recherches séparées.

Si l’on prend pour base le travail de F. Le Lionnais (note) qui s’est appliqué à faire un tableau mettant en regard une liste des éléments du « peint  », et une liste des « manipulations  » que l’on peut opérer sur eux ou avec eux, on constate qu’il s’est surtout attaché à regrouper les manipulations mathématiques, ce qui est normal puisqu’il appliquait par là les principes oulipiens qui consistent à mêler les mathématiques à la littérature. On remarque aussi que les « éléments du peint  » qu’il a recensés ne sont pas complets.

On pourrait donc étendre les manipulations à ce qui n’est pas directement mathématique :

- tout ce qui n’est pas quantifiable parce que trop complexe ou trop flou, ainsi la simplification personnelle des formes ;

- tout ce qui relève des idées empruntées à des disciplines autres : psychologie (Surréalisme), linguistique (Magritte) etc…

- tout ce qui relève de la fusion d’éléments hypercomplexes comme les domaines, les disciplines ou le style;

- tout ce qui relève des idées sur la peinture (le but de la peinture) ;

- tout ce qui relève des idées sur un projet (le but concret);

- les assemblages non mécaniques de techniques : dessin avec peinture et photo, photo avec peinture et gravure, etc.

- tout ce qui relève des gestes techniques (le grattage, l’empreinte, le ponçage, etc.)

- tout ce qui relève du vocabulaire formel complexe et libre;

- tout ce qui est de l’ordre de la fusion d’éléments simples (les différentes façons de mélanger ou d’appliquer des couleurs)

Par ailleurs,  Le Lionnais en constituant son tableau des opérations plastiques a été amené à mettre sur une même ligne des éléments qui ne sont pas du même ordre. Et ces alignements pourraient faire oublier les accords entre ces éléments eux-mêmes. Chacun de ces éléments pouvant agir sur les autres d’une manière ou d’une autre. De plus, le fait de n’avoir pas développé chaque élément est un facteur d’oublis éventuels. Car les catégories d’éléments donnés ne sont pas simples. Elles cachent donc des éléments qui ont été négligés ou perdus, qui pourraient même constituer une catégorie à part. Il est donc important d’énumérer, autant que faire se peut, ce que contient une catégorie et d’en sortir les éléments qui sont complexes et qui en contiennent d’autres. Le fait de déterminer la complexité des éléments permet de négliger moins d’éléments.

Le fait d’examiner chaque catégorie en soi permet de voir si des alliances au sein de ces catégories sont possibles et quels sont ceux qui les ont utilisées. Un exemple semble éclairant, l’alliance des domaines.

4. Mélanges de domaines artistiques

- On sait que la peinture moderne a beaucoup fait usage de techniques mixtes. On entend par là en général des techniques variées utilisant d’abord l’acrylique, puis l’huile. C’est-à-dire qu’au sein de la peinture, on peut marier les techniques. Ce mariage a été poussé en ajoutant les éléments relevant d’autres domaines de l’art. On les appellera mariage de domaines ou de disciplines :

- Dans la catégorie des différents domaines des arts plastiques, on verra l’intérêt de marier les techniques entre elles : dessin, gravure, litho, peinture, photo, imprimé (ce qui donne des collages), ajouts de matériaux plats divers (papier, feuilles), reliefs divers (bois, grains cailloux, bas reliefs, sable, éléments de récupération, sculpture, etc.), céramique et porcelaine, architecture, cinéma, vidéo, numérique.

Quelques exemples de mariages donnent une idée de la fécondité de ces associations :

- Les premiers mariages ont probablement été la peinture sur la sculpture et la peinture sur du dessin ou de la gravure.

- un des premiers mariages a été réalisé en laissant une part de dessin pur au sein d’une peinture (Daumier, Picasso);

- imprimé sur peinture (collage cubiste)

- la peinture peut s’ajouter à la photo, la modifier, la morceler, etc (A. Wahrol)

- la peinture permet de déformer la reproduction de l’œuvre d’un grand peintre et la transformer complètement (Duchamp avec la Joconde), mais des mélanges plus fusionnels sont à réaliser ;

- le dessin sur un papier imprimé (Alechinsky)

- le dessin sur une photo

- le relief sur une reproduction

- le relief sur une gravure

- le relief sur une statue

Les associations de ce type ne peuvent déjà plus se répertorier tant elles sont nombreuses, même si nous réduisons les domaines à 8 (factorielle de 8) à savoir le dessin, le pastel, la gravure, la peinture, la photo, les imprimés, la sculpture, le numérique.

Déjà moins pratiqués :

- peinture sur peinture, dessin sur dessin, gravure sur gravure, relief sur relief, etc.

Mais ces alliances de disciplines seraient plus fécondes et plus riches en nouveautés si on les associait aux éléments d’une autre catégorie, celle des qualités essentielles de la peinture, que nous avons limitées à quatre pour ne pas trop compliquer la démonstration, car déjà les mariages issus des mélanges opérés sont innombrables.

5. Les dénominations globales

En ce qui concerne le domaine des arts plastiques, et si l’on revient à la notion de style, il existe un certain nombre de dénominations globales qui donnent des indications sur des éléments à prendre en compte.

Les plus opaques sont les catégories globales qui ont été admises un temps : celles du simple, du tempéré ou du sublime… Les grandes catégories historiques qui rattachent un peintre à une époque ou à un siècle (le dix-huitième, le dix-neuvième siècle, etc) ne sont guère utilisables dans un premier temps, car elles font appel à des éléments étrangers comme le milieu, la société, etc. Seules les catégories (le symbolisme, le réalisme, l’Impressionnisme, le Fauvisme, l’Expressionnisme, le futurisme, etc), plus resserrées sur une idée nouvelle ou une technique nouvelle ou un ensemble de choix particuliers, commencent à nous donner des indications sur les éléments que nous cherchons. Ces catégories sont des conceptions complexes dont on entrevoit les grandes lignes, les thèmes et les éléments spécifiques. Elles m’ont d’ailleurs servi de référence pour certains de mes mariages.

Si donc on attribue à chaque domaine des qualités connues et très réduites, à savoir : le figuratif ancien, le figuratif moderne, l’abstrait ordonné et l’abstrait libre, en mettant dans l’abstrait libre les signes, les écritures et les graffitis, on imagine déjà la démultiplication énorme des possibilités. En voici un aperçu :

- La plus banale aujourd’hui étant le mélange du figuratif et de l’abstrait ;

- dessin moderne ou figuratif ancien, ou abstrait, ou ordonné ou libre + dessin moderne ou figuratif ancienne, ou abstrait, ou ordonné ou libre ;

- dessin moderne ou figuratif ancien, ou abstrait, ou ordonné ou libre + peinture moderne ou figurative ancienne, ou abstraite, ou ordonnée ou libre,

- dessin … + imprimé figuratif moderne ou figuratif ancien, ou abstrait, ou ordonné ou libre ou

- dessin … + relief figuratif moderne ou figuratif ancien, ou abstrait, ou ordonné ou libre ;

etc

On remarquera, non sans raison, que ces qualités et ces mélanges sont réalisés avec des éléments complexes, donc flous, mais qu’ils ouvrent la voie à des œuvres originales.

Il s’agit donc maintenant de les préciser, ce qui naturellement démultipliera encore les possibilités.

Et il est apparu évident que, pour n’oublier aucun élément utilisé, il fallait créer une hiérarchie, un classement, des niveaux etc., en somme, à l’image des sciences naturelles, commencer par répertorier. Mais contrairement aux sciences naturelles, il fallait, soulignons-le, ne pas croire qu’un genre, une espèce, une famille, une catégorie est incompatible avec une autre. Le choix de la hiérarchie par degré de complexité semble cependant souhaitable, en commençant par les éléments extérieurs aux arts plastiques qui ne seront pratiquement pas développés sauf exception, pour finir par les plus petits éléments communément utilisés dans les arts plastiques, du moins à notre connaissance. Comme nous ne prétendons pas répertorier tout ce qui existe, nos choix pourront paraître quelque peu arbitraires ou insuffisants. Disons que c’est une base à développer car, bien évidemment ces recherches ne peuvent aboutir car elles sont infinies. Les sous ensembles contenant des éléments dépendant d’une catégorie seront considérés comme une catégorie en soi pour que les éventuels mélanges soit facilités.

6. Classement des éléments

Ces premières réflexions concernant les domaines à marier appellent une conclusion immédiate : une classification est nécessaire pour le dénombrement des catégories.

Pour ce qui concerne les catégories et leur degré de complexité, on peut s’appuyer avec bénéfice sur les méthodes les plus évidentes utilisées dans les sciences naturelles :

- un élément simple est un élément qui ne contient pas d’autres éléments en son sein.

- une catégorie regroupe plusieurs éléments simples de la même famille. Pour définir une catégorie, il faut donc trouver les éléments communs.

- une qualité est un sous-élément concernant les éléments d’une catégorie donnée.

La liste suivante permet de préciser quels sont les différents niveaux à examiner et les éléments qui sont le plus utilisés :

Autrement dit, niveau 1 : les particules. Niveau 2 : les éléments de base. Niveau 3. les éléments spécifiques (couleurs, valeurs, formes contrastes etc.). Niveau 4 : les gestes ou manipulations qui permettent d’utiliser ces outils. Niveau 5 : les techniques utilisant plusieurs gestes. Niveau 6. Les écoles et les groupes. Niveau 7: les associations de styles Niveau 8 : les domaines utilisant des techniques différentes. Niveau 9 les manipulations artistiques. Niveau 10 : les idées concernant l’art plastique. Niveau 11 : les éléments extérieurs simples. Niveau 12 : les autres disciplines. Niveau 13 : les éléments transversaux. Niveau 14 : les grands ensembles extérieurs. Niveau 15 : l’universel.

Rappelons que ces catégories ne seront développées que dans la mesure où ces développements ont été utiles aux métissages :

- a) le niveau universel (le temps, l’espace, le végétal, le minéral, l’animal, les particules, les astres)

- temps : parallèles, successifs, durée, histoire, mouvement.

- b) les grands ensembles (civilisation, culture, peuple nation, société) ;

- culture orientale, occidentale, changements de société dus aux changements sociaux, politiques, scientifiques et techniques ;

- c) le niveau transversal contenant les éléments communs à plusieurs disciplines (voir plus bas)

- d) le niveau parallèle, celui des autres disciplines comme la psychologie et les émotions et les sentiments, les situations particulières ou dramatiques ; la philosophie et l’esthétique ; la métaphysique ou la religion avec les différents thèmes mythologiques et religieux, les mathématiques avec les manipulations repérées par Le Lionnais + la géométrie et la perspective, certaines figures, certaines proportions, le nombre d’or ; les lettres avec tous les thèmes romantiques, sociaux, les scènes de genre, les personnages de tragédie ou de roman; l’histoire et la notion d’histoire, les grandes figures historiques, les grands moments, les grands thèmes ; la mécanique et ses volumes ; les sciences naturelles et leurs schémas, ses théories; la biologie et ses formes, la chimie et le non visible à l’œil nu, les textures des matériaux, les nouveautés qui peuvent servir en peinture ; l’astronomie et les constellations ; la physique et ses formes ; la géographie et ses localisations ; la géologie et ses textures et toutes les disciplines possibles… (ce qui peut toucher l’artiste ou l’aider à comprendre à ajouter à son vocabulaire formel, les techniques numériques, le cinéma, les théories (linguistique).)

e) les éléments extérieurs produits des disciplines extérieures : les lettres, les imprimés, les livres de biologie, les photos en chimie, les éléments mécaniques ou numériques, les objets de la vie quotidienne, les éléments décoratifs …

-f) les grandes idées sur l’art : le niveau des grandes idées sur la peinture : figuratif (fait à partir de la réalité d’une manière ou d’une autre), abstrait utilisant des formes que l’on ne reconnaît pas immédiatement ou pas du tout), ordre (usage d’éléments possiblement géométriques ou mathématiques) et liberté (impulsions, irrationnel et désordre anarchie) ; l’intégration d’éléments étrangers

-g) les manipulations artistiques : idéalisation, simplification, déformation, amalgame, mélanges, fusions, collages, transgressions, perversions.

-h) le niveau des domaines des arts plastiques comme la peinture à l’huile, l’aquarelle, le dessin, le pastel, la photo, la gravure, la reproduction, la sculpture, le relief etc

- i) les associations de styles (voir plus bas les métisses)

- j) le niveau des écoles, des groupes, ou d’une forme de style particulier, ou une idée nouvelle sur la peinture ou un autre domaine des arts plastiques; (voir plus bas dans les métisses)

- k) le niveau des techniques, classiques, modernes, post modernes (ensemble de règles qui sont contenues dans la peinture de chaque peintre) voir plus bas.

-l) le niveau des gestes techniques qui peuvent être spécifiques à une technique ou communs à plusieurs techniques (tracer, imprimer, mélanger, appliquer, décharger, effacer, projeter, faire une empreinte, faire couler, gratter, frotter, étaler, mélanger couper, déchirer)

- m) le niveau des « éléments spécifiques» comme les instruments, les couleurs, les diluants et vernis, les formes, les signes, les matériaux, les tracés, les matières, la pâte, les thèmes, le relief, le support, les contrastes, la valeurs, la profondeur, le volume, les tons, le fond, la construction, la composition, l’harmonie)

- n) le niveau des éléments de base comme au sein des *instruments* : la main, le pinceau, le couteau, la spatule, le rouleau, le pochoir ;au sein des *couleurs* : blanc, rouge noir, bleu, jeune, vert violet gris brun, beige; les diluants et vernis avec plus ou moins de composants ; au sein des *formes* abstraites : cernées, géométriques, en volume, les taches, les formes figuratives, les formes surréalistes, idéalisées ; les *signes* : personnels, universels, figuratifs, abstraits, graffitis, écritures; au sein des *matériaux *: les matériaux classiques, les matériaux nouveaux : sable, sciure, éléments grenus, matériaux tout faits ; dans les *tracés* : les tracés nerveux, anarchiques, ondulés, rigides ; dans la* pâte*, la pate transparente, fine, épaisse, opaque ; les *matières* : lisses, unies, grenues, accidentées, spéciales ; dans les *thèmes* : humain, végétal, animal, minéral, urbain, quotidien, nature morte, marine, portrait, nouveau ; le *relief* : mince, épais, accidenté, travaillé ; et au sein des *supports*, les papiers, les toiles, carton, bois, plastique, pierre, terre cuite ; les *contrastes* de couleur, de valeur, de quantité, de quantité, de qualité, de chaud et froid, d’épaisseur ; les *valeurs *: sombres, lumineuses ; la *profondeur* : premier plan deuxième plan, arrière plan, perspective *; le volume* : indiqué , souligné, amplifié, au niveau *des tons* : ton rompu, vif, recherché, délicat ; le *fond *: sombre, contrasté, décoratif, inexistant ; la *construction* : géométrique, rythmique libre, pulsionnelle, empruntée à une autre discipline, les *textures* : naturelles, décoratives ; la composition, équilibrée, déséquilibrée, symétrique ou non, visible ou non, avec vide, sans vide, proportions du vide, rapport des éléments étudié, libre ; l’harmonie ; forte ( petite partie du cercle chromatique, ou seulement des tons rompus ; réduite avec dissonances, tons purs ; tempérée grâce aux passages de gris, de blanc, de noirs.

-o) les particules : pigments, essences, gommes résines;

.

On comprend donc que pour distinguer les styles aussi bien que pour en créer de nouveaux, il s’agit de faire appel à des mélanges originaux touchant à des niveaux divers. Le style se différenciera en ajoutant ou retranchant une ou plusieurs catégorie ou un plusieurs éléments ou plusieurs éléments d’une ou de plusieurs catégories.

On se rend compte immédiatement qu’un certain nombre les éléments extérieurs ne peuvent être examinés dans leur complexité, cependant quelques développement nous ont paru intéressants.

7. Les éléments transversaux.

L’idée même de classement, qui semble commune à bien des domaines, montre en elle-même qu’il existe un certain nombre d’éléments qui sont communs à plusieurs domaines, éléments que nous sommes tentés d’appeler « transversaux  ». Les mathématiques sont précisément la science qui propose le plus d’éléments qui peuvent être considérés comme transversaux, c'est-à-dire utiles pour les autres domaines. Ces éléments transversaux mériteraient un traitement particulier en dehors des listes contenant les éléments propres aux arts plastiques, mais pour le moment nous les inclurons dans les éléments plastiques complexes.

Avant de se pencher sur les métisses, quelques observations sur les éléments transversaux montrent leur grande efficacité innovante. Limitons-nous aux éléments les moins contestables et qui ne relèvent justement pas d’une conception générale du style ou de l’art, mais qui découlent de la conscience de l’organisation du tout :

- le rythme ou le rapport des éléments entre eux peut amener diverses divisions verticales ou horizontales de l’espace ; les morcellements dans ce sens, les lamellisations et les permutations qui en découlent sont intéressantes, de même que la division en plusieurs tableaux pour réaliser un triptyque ou un polyptique ;

- dans ce sens, plusieurs supports morcelés de différentes façons, permutables ou non, ont été essayés, d’autres moins ou pas du tout : support sur bouts de bois non géométriques (support-surface), sur disques, sur objets plats (quadrilatères de grandeur variable ou sur rouleaux) ;

- toute accumulation d’objets colorés ou non dans un contenant transparent quelconque relève de cette idée de division rythmée qui a une efficacité esthétique évidente ;

- tout accrochage d’éléments semblables ou d’objets divers sur une surface verticale peut avoir un effet esthétique si elle suit un ordre quelconque.

- Une recherche sur les divisions dans l’espace d’un même tableau a donné des nouveautés comme celles des remarques marginales d’Alechinsky, remarques marginales qui ressemblent aux bordures d’un tapis ou d’un foulard, d’un panneau décoratif.

- certaines techniques comme le collage, l’emprunt, la citation ;

- le collage prend actuellement une extension considérable et mêle de plus en plus des techniques diverses et des domaines variés .